Le 10 février 2012

L’homo economicus n’existe pas

Contrairement aux idées reçues, nos comportements économiques ne résultent pas de notre seule rationalité. Nos arbitrages sont en effet souvent guidés par nos émotions. Le point de vue d’Olivier Herson, Vice-Président AllianceBernstein France.



 

«Longtemps, les économistes ont considéré les agents économiques comme des êtres hyper-rationnels. Il faut attendre les années 1970 et l’arrivée de la finance comportementale, qui mêle science économique et psychologie, pour comprendre que la réalité est bien différente. Elle nous donne les enseignements suivants :
- l’homo economicus, qui agirait sous le seul signe de la raison, n’existe pas. 
Sinon, comment expliquer les bulles spéculatives ? La séquence 2008-2009 nous montre par exemple une succession de comportements peu rationnels. La dilution des crédits immobiliers "douteux" dans des titres, à travers les subprimes, devait réduire les risques. En fin de compte, elle a provoqué la crise de 2008. Puis on a finalement assisté à un retour de la confiance début 2009.
- l’homo economicus, quand il refait surface de temps pour corriger les excès, se laisse rapidement emporter dans la démesure inverse.
Un manque de rationalité qui empêche de prendre les bonnes décisions au bon moment. Par exemple, les Américains, au plus fort de la crise, ont vendu au 4e trimestre 2008 pour 36 milliards de dollars dans les fonds communs de placement. À l’inverse, au sommet de la bulle technologique au 1er trimestre 2000, ils en avaient acheté pour 36 milliards, alors qu’ils y investissent en moyenne 5,2 milliards de dollars par trimestre.

Comment expliquer alors ce comportement irrationnel, qui conduit à acheter au plus haut et à vendre au plus bas ?


 

La peur de perdre
Les travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky, fondateurs de la finance comportementale, nous montrent que deux facteurs guident l’investisseur :
- l’appât du gain, lorsqu’il anticipe un monde merveilleux,
- l’inverse, la peur de perdre.
Or Kahneman et Tversky ont démontré que la perte d’un euro générait 2,5 fois plus d’émotion que le gain d’un euro. On comprend ainsi mieux pourquoi 84 % des encours de l’assurance vie sont, en France, placés sur des contrats en euros alors qu’ils offrent, sur le long terme, des rendements moins élevés que ceux en unités de compte.
Cette aversion pour les pertes est aussi une affaire de perspective et de relativité. Quand Kahneman et Tversky présentent à un premier groupe un schéma montrant une progression annuelle d’un indice boursier de 9 %, les individus sont prêts à investir 70 % de leur argent. À un deuxième groupe, le schéma montre le même indice boursier, mais mois par mois, dont six mois de pertes. La part d’argent investie se réduit à 40 %, alors que le gain annuel est toujours de 9 %. Plus on expose quelqu’un à des données négatives, plus on influence négativement son comportement. Ce qui n’est pas sans conséquences, à une époque où l’on peut suivre l’évolution du CAC 40 en temps réel.

S’il est impossible d’intégrer de manière rigoureuse notre part d’irrationnel dans les théories économiques, c’est en décryptant l’importance des émotions dans notre comportement que l’on peut comprendre qu’une bonne performance boursière suppose une certaine stabilité dans la gestion du portefeuille. »