Le 23 janvier 2009

Avis d’expert : « Chaque crise boursière est liée à une spéculation déconnectée du réel »

En moyenne, inflation déduite et dividendes réinvestis, la bourse croît de 3,3 % par an depuis 1913. Dès que l'on dépasse durablement ce taux, il faut attendre une correction pour revenir au niveau « rationnel » qui est celui des richesses produites par le travail des hommes. Analyse de Jacques Marseille, Professeur à l'Université de Paris-I Sorbonne, directeur de l'Institut d'histoire économique et sociale.

Comment analysez-vous la crise boursière actuelle au regard de l'histoire ?
Pour moi, rien ne la différencie des autres, si ce n'est le facteur déclenchant. En 1987, ce sont les ordinateurs qui s'affolent ; en 2000 la bulle Internet qui explose ; aujourd'hui, la crise des subprimes provoque l'effondrement.
Lorsque l'on analyse l'histoire économique sur le long terme, on observe des cycles de six à sept ans qui ont été mis en évidence dès le Second Empire par le médecin français Clément Juglar.

Est-ce à dire que les krach boursiers suivent des cycles ?
Depuis 60 ans, les hausses boursières continues en France n'excèdent pas cinq ans. Un événement accidentel vient toujours stopper la progression. La Bourse ne peut pas croître plus que sa hausse moyenne, qui s'établit à 7 % entre 1913 et 2000, à 3,3 % si l'on retire l'inflation. Lorsque la croissance atteint 15 % plusieurs années de suite, la correction intervient et remet le CAC 40 à une sorte de niveau « rationnel ». Ce qui est bien normal : il paraît difficile de gagner davantage que la croissance économique additionnée à l'inflation.
Ce qui n'empêche pas la Bourse d'être le placement le plus intéressant et de loin. En prenant pour indice 100 en 1900, l'or n'a progressé que de 5 % en un siècle, les obligations ont perdu 54 % et les valeurs mobilières ont  vu leur pouvoir d’achat multiplié par 31 !

Toutes les crises boursières ont donc les mêmes causes ?
Seule la crise de 1929 est singulière. C'est pourquoi elle n'est pas un bon élément de comparaison. La crise de 1929 est intimement liée à l'hécatombe humaine et économique de la guerre de 14-18, ainsi qu'au Traité de Versailles qui ont, comme le souligne 1Herbert Hoover  dans ses Mémoires, déstabilisé fortement les économies européennes et les monnaies.

Suite à la crise des subprimes, beaucoup réclament une régulation de la finance mondiale. Qu'en pensez-vous ?
Chaque crise boursière est liée à une spéculation déconnectée du réel. A chaque fois, on jure que ce sera la dernière. Et, à chaque fois, on “repart comme en 14”. Cette régulation part de l’espoir qu'une gouvernance de la finance mondiale puisse exister. Ce qui reste à démontrer.
Et tout cela ne date pas d'hier. La mondialisation, on connaissait déjà au XIXe siècle. En 1913, la moitié du patrimoine des Français était constituée de valeurs mobilières. Voilà qui tord le cou à l'idée reçue que les Français sont allergiques à l'économie de marché. Au contraire, je pense que nous sommes en train de renouer avec l'âge d'or du libéralisme : les années 1850 / 1880.

1Herbert Hoover (1874 - 1964), Président des Etats-Unis de 1929 à 1933.